Du surréel au
fantastique Jean-Louis M. MONOD Editions LEFEUVRE
1980
13
grands peintres européens
Becciani,
Bogaert, Chapelain-Midi, Deonna,
Dzyga, Eckman, Petit-Jean,
Poncelet, Respaud, Schuchard,
Spiro, Vogel, Von-Morl
Il est une
littérature dite différente. Il est aussi une peinture dont émane
une force attractive qui procède généralement d’une même source
d’inspiration. Peintre mais point écrivain, Dzyga ne se pose pas en
intellectuel
(1)
pas plus qu’il ne se donne pour philosophe. Aussi laisse-t-il à ses
exégètes toute la responsabilité des jugements qu’ils peuvent porter
sur son œuvre, comme celle de son interprétation.
Dans sa
recherche de la perfection, un artiste qui sait reconnaître ses
faiblesses et qui est toujours exigeant avec lui-même, a toutes
chances pour que sa quête aboutisse. Dzyga nous en donne l’exemple.
La conception qu’il a de son art, l’appréciation objective qu’il en
fait, sont autant d’éléments qui incitent à la pondération dans
l’analyse et à l’impartialité dans la critique.
Le signe sous
lequel le peintre vit le jour, comme son attraction, (2)
peuvent expliquer sa détermination à réussir sa vie dans un monde où
se dressent embûches et chimères.
Se référer à l’origine de l’homme, c’est évoquer
aussi les sources de son œuvre, féconde résurgence. A
l’évolution de l’un correspond la transformation de l’autre, tous
deux étant façonnés par les contacts profonds ou superficiels (3)
qui, avec l’héritage des Anciens, donne à l’artiste, sa filiation
spirituelle.
L’appartenance à telle école, où l’ascendant de tels
grands (ou petits) Maîtres, sont des constatations courantes, voire
inévitables que l’on fait trop volontiers pour que certains s’en
satisfassent, redoutant que, à juste titre, les rapprochements que
favorisent les affinités ne deviennent, en un véritable lieu commun,
simple promiscuité. Il y a donc sans conteste, ce que d’aucuns
appellent les influences. Si elles ne sont pas niées par l’artiste
(les fantasmes de Bosch firent certes une apparition dans ses
œuvres… comme certains monstres marquèrent le début de la Création)
(4),
il est toutefois plus juste de parler de concordances (5).
Mais pour Dzyga, sans que soit atteinte son ipséité, ne sont pas
exclus les apports de Paul Delvaux, Claude Verlinde ou Félix Labisse,
comme il faudra peut-être (conjecture personnelle et non
généthliaque), compter sur le rayonnement de Samuel Bak.
Parfois proche
aussi de certains architectes visionnaires, il n’est cependant pas
adepte du fonctionnalisme, mais malgré tout, à sa manière, il est
bâtisseur de rêves (6)…
et non de cauchemars. Dans ses « paysages » insolites, la vacuité de
certaines places n’engendre pas l’anxiété qui emplit l’espace chez
un De Chirico, comme sa cathédrale émergeant des flots n’inspire pas
l’angoisse qui émane des édifices d’un Monsu Desiderio. En fait,
l’artiste ne nous impose pas des cités ravagées par la guerre ou par
des cataclysmes, mais seulement, attaquées par le temps des villes
irréelles, parfois même des ruines ainsi que des monuments et des
sculptures, comme issus de mirages, sans rupture d’harmonie avec
l’environnement. Fermement assises, semble-t-il solides, ses
citadelles en fait, empiètent sur l’intangible. « Mécanisme de
rêve »… impulsions, désirs subits, renoncements, prévisions. Autant
de sautes d’humeur comme des changements de temps qui se traduisent
en images… cohérence éphémère. Dzyga aime faire un ciel, qu’il soit
pur ou couvert, puis subitement, il peut lui préférer une terre
pierreuse ou cultivée, une étendue vide ou un espace clos. Mais,
peintre de l’ouvert (7),
s’il nous laisse découvrir quelques issues cachées de cités
imaginaires, il sollicite surtout notre attention par ses échappées
secrètes sur d’autres univers. Sur les voies qui nous y mènent, ce
ne sont que sombres et glissants dallages, instables et mouvants,
pleins ou ajourés, devenant lattes et lanières et, prêts à se
dérober aux abords d’un passage, chemins jonchés de pierres
fissurées : étonnants clivages… comme ceux de cette brèche aux
frontières incertaines que l’artiste a parfaitement délimitées (8).
Pour comprendre le langage d’un peintre, savoir
commenter ses symboles, être en mesure d’analyser ses émotions,
pouvoir en expliquer la cause, il est le plus souvent nécessaire de
s’adapter à sa démarche et de le suivre pas à pas dans un itinéraire
qui nous fait pénétrer progressivement dans son œuvre. Il suffit
parfois de s’en pénétrer. Ainsi en est-il avec Dzyga dont le monde
très réel jouxte un univers onirique (se situant ainsi entre le
réalisme de l’esprit éveillé et l’illogisme qu’engendre le sommeil)
auquel il nous suffit de croire pour y être introduit et pouvoir le
contempler. Encore faut-il savoir l’observer car, si les images qui
plaisent, semblent se passer d’explications, les couleurs qui
séduisent, paraissent nécessiter une certaine initiation. Les
découvrir avec un regard neuf permet de les discerner comme un
enfant qui en fait « l’apprentissage ». Ses ciels sont parfois
d’azur et des ballons bleus y ont chassé les nuages, mais ils sont
aussi ciels de pluie ou de plomb dominant un monde minéral où, dans
la torpeur propice au rêve et à la méditation, les êtres sont à
l’écoute du silence… à moins que, dans la contemplation de dômes,
bulbes, clochers ou flèches, ils ne s’interrogent sur les vertus de
leurs nuances (9).
La grande diversité de ses couleurs, leurs savants dégradés,
contribuent à donner à ses compositions une belle eurythmie. Au fil
des décennies, Dzyga a su affiner sa palette et adoucir son
graphisme de sorte que couleurs et images ont perdu de leur
agressivité et la poésie d’un « Rêve de poulain » s’est substituée à
l’outrance d’un « Songe cardinalesque » (10).
Il est également certain que la virtuosité du technicien n’amoindrit
pas la sensibilité de l’artiste… sensualité devrait-on dire : celle
d’un esthète dont l’acuité des sens intellectuels renforce
l’illusion d’une habileté manuelle qui parvient à traduire une
émotion tactile par de simples images à deux dimensions.
Jean-Louis M. MONOD
NOTES
1 - L’artiste
qui, dans un sens, regrette de ne pas lire, ou tout au moins de lire
trop peu, a, par contre, la satisfaction de penser qu’on ne trouve
pas dans son œuvre de références littéraires précises pouvant être
considérées comme des illustrations.
2 - Né le 5
janvier 1945 à Briessen-Cottbus (Allemagne) de parents ouvriers
agricoles polonais, Kazimierz Dzyga qui vit en France depuis 1946 a
été naturalisé français en Février 1977.
3 - Au début
de sa carrière, période difficile mais aussi enrichissante, Dzyga
rencontra de nombreux artistes et écrivains. Le peintre considère
comme autant d’encouragements, l’intérêt qu’ils portèrent à son
œuvre et les conseils qu’ils lui prodiguèrent.
4 -
Dzyga a exorcisé ses monstres. Ils ont disparu. Victimes de
l’évolution d’une technique, ils le sont aussi d’un changement
d’état d’esprit. Plus de mains griffues grâce à… la patte de
l’artiste. Maintenant, ce qui est « monstrueux », c’est de peindre
un corps de femme vert, orange ou bleu… Le point de vue du
dessinateur s’est effacé devant l’optique du coloriste.
5 - Dzyga
emprunte volontiers à Pierre Bruegel aussi bien qu’à Coustou
(Guillaume 1er),… et ses beautés sculpturales ont déjà pu
être admirées… mais qu’importe le support lorsque la mise en page
est belle !
6 - Ses
citadelles imaginaires n’entrent toutefois pas dans le cadre d’un
urbanisme utopique ou symbolique comme celui de Ledoux et autres
Boullée.
7 - Pour
cette notion, Cf. « Espaces inquiets » - Chapitre IV in « L’Art
fantastique » de Marcel Brion – Albin Michel Ed. 1961.
8 - L’atmosphère
particulière de ces microclimats topographiques, saturés de brumes,
est rendue par des couleurs rabattues aux subtiles fondus
(principalement le rouge).
9 - On
connaît le sonnet d’Arthur Rimbault sur les voyelles… Il est curieux
d’observer que, si l’on se réfère au classement des couleurs et à
l’attribution des lettres que fait Françoise de la Perrière dans la
description de sa vision colorée des lettres de l’alphabet, le nom
du peintre… est écrit dans sa palette ! (Cf. « Atlantis » - n° 283 –
Mai-Juin 1975 – « Symbolisme des couleurs - II »
10 - Œuvres
datant respectivement de 1976 et de 1970.
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