DEUX PEINTRES DANS LE VENT
Véronique Prat - Le
Figaro Magazine - 9 janvier 1982
Une crise de l’art
contemporain ? Depuis dix-quinze ans, les esprits chagrins nous en
menacent. Pas tout à fait tort : il avait fallu attendre 1962 pour
que les musées de France exposent Kandinsky, et encore sept ans
avant qu’on ose y montrer Mondrian. Isolé dans un provincialisme
arrogant, Paris avait depuis longtemps cessé de jouer le moindre
rôle sur le plan artistique international. Triomphaient alors, comme
avant-garde officielle, encensée par la critique, les divers
courants abstraits. A ceux que cette « avant-garde » abstraite
effrayait encore, le Salon des peintres témoins de leur temps, plus
couramment appelé « les P.T.T. », continuait d’offrir, chaque année,
une imagerie rassurante et mièvre, autour de thèmes humanistes d’une
désopilante niaiserie : le blé et le vin, le sport, la machine, etc.
Puis, tout bascule :
les mouvements s’entrechoquent et la critique parle de « pop art »,
d’hyperréalisme, de figuration post-surréaliste, de « body art »,
d’ « art minimal ». Allez vous y retrouver ! Parce que les musées,
toujours eux, toujours en retard de quelques années, ne sont plus
une référence. Alors que la production artistique s’est longtemps
faite en fonction de l’institution religieuse ou princière, du Moyen
Age au XVIIe siècle, puis, à partir du XVIIIe
siècle, en fonction de l’institution marchande, voilà que l’art
devient suspect de mystification. Et les amateurs restent souvent
sceptiques quant aux réalisations de leurs contemporains.
Pas tous, tout de
même : peut-être parce qu’il s’inscrit, par la rigueur de ses
compositions, dans la tradition classique française, fidèle à
l’exemple de Cézanne et de Seurat, disciple attentif de Balthus,
Pierre Carron ne déroute pas. D’où son succès… et l’engouement (très
contagieux) qu’il suscite jusque chez les premiers personnages de
l’Etat socialiste. Quant au triomphe de
Dzyga, à la F.I.A.C. 81 (1), il prouve l’impact des expositions sur
les goûts du public.
Les mécènes modernes
La F.I.A.C., une
initiative privée qui donne d’ailleurs à réfléchir, au moment précis
où, à l’exemple américain, la France souhaiterait que les
entreprises, industrielles et commerciales, soient les mécènes des
temps modernes. Des Médicis ou des Esterhazy, version démocratique.
Jack Lang s’est déclaré tout prêt à « tendre la main aux patrons
mécènes » et l’Admical (2), présidée par Jacques Rigaud (l’homme qui
a succédé à Jean-Philippe Lachenaud à la tête du futur musée
d’Orsay), mobilise l’opinion sur une démarche bien connue aux
Etats-Unis. Là encore, dans notre pays, on parle et critique
beaucoup depuis quelques mois, mais on agit peu : alors qu’en 1980,
c’est le ministère de la Culture qui avait en partie subventionné
la Foire, dans le cadre de l’année du patrimoine, en octobre 1981,
c’est la filiale française du groupe Johnson qui s’est substituée à
l’Etat défaillant. Si les cocktails Molotov ont fait long feu, les
sébiles restent bien vides.
(1)
Foire internationale de
l’art contemporain
(2)
Association
pour le développement du mécénat industriel et commercial
|