Texte du catalogue
d'exposition
Palais Bénédictine, 1997
Chaque fois
que je vois un ciel avec des nuages, je pense à Kazimierz DZYGA et
je m’étonne que la nature copie si bien ce que ce peintre nous donne
à voir dans ses tableaux. Ou peut-être est-ce l’inverse, mais
qu’importe ? Ce qui compte, c’est ce bleu d’infini, ces nuages
porteurs de rêve, cet espace où le regard se perd en s’évadant, ces
mondes qu’il invente, ces brèches qu’il ouvre dans la réalité.
Espace-vapeur, espace-temps, profondeur qui entraîne l’âme entre
deux cailloux luisants d’humidité au fond d’un torrent, sur les pas
d’un cavalier qui marche sur les reflets de l’eau. C’est dans le
bleu que tout se passe, que tout commence et tout finit. Dans
l’espace, dans la queue gelée des comètes, comme sur Terre, où les
algues bleues deviennent vertes, naissance de la vie, la première
cellule, la première émotion, vibration, lumière, goutte,
respiration. Dans les tableaux de Kazimierz, il y a cette
respiration du bleu, son velouté et sa douceur, une respiration
d’amour, vibrante comme lui.
Tous les
ciels « à la Dzyga » sont faits de bleu, même quand on ne le voit
pas. Avant, après, il y a le rouge, le profond, le sauvage, la lave
incandescente d’où jaillissent ensuite toute la gamme des oranges,
et puis ces ciels « cheyenne » et ces ombres où se tapit le feu,
puis le vert, les noirs, les reflets, les gris, les jaunes, la
palette déclinée sur des falaises interdites, des miroirs à double
fond, des puits sans tain, des minarets qui n’en sont pas, des
excroissances, des arches, des ponts, des cordages, des
enjambements, des antres, des rochers, des corps de femmes
impudiquement voilés de transparence et de lumière, des châteaux,
des palais, des obélisques, les pointes de toutes sortes de flèches
dressées pour conquérir le ciel. Une respiration sensuelle, pleine
de gouttes de rosée, de désir, d’attente, de patience, de cascades.
Le peintre embrasse du bout de son pinceau celui qui regarde. Le
baiser perdure à travers le temps. Toute création est mystérieuse.
Sa seule trace, c’est dans l’intensité du choc qu’elle provoquera
qu’elle la fabrique. Chaque tableau devient lieu de passage, une
quête initiatique qui nous projette dans l’essentiel. Du fantastique
au rêve, du rêve à la prémonition, de la prémonition à cette réalité
recréée qui devient plus réelle que la vraie.
Alors
l’ineffable sourire des rochers bleus, des rondeurs et des
tentations qu’ils distillent et qu’ils cachent. La sérénité des
gorges, des failles, des interstices où tous les détails sont
travaillés, ciselés, orfévrés comme ce qui est au premier plan. Le
pourpre de la gorge des femmes, lorsqu’il y en a, de moins en moins
dans les tableaux récents, comme si leur obsession s’était estompée,
dissoute dans le brouillard. Des monstres repus. Un subtil jeu de
questions-réponses, composition d’un labyrinthe fait de mouvances,
d’ondulations, de notes en suspens, orchestration dans chaque
tableau d’une harmonie souterraine qui n’est pourtant ni jamais
tout-à-fait la même ni jamais tout-à-fait une autre, autant de
facettes d’un univers intérieur s’emparant du blanc de la toile pour
nous donner à voir le monde.
Isabelle
NORMAND octobre 1997
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