Revue de textes   Text review

                                                                                    

Penthouse  Août 1987  édition française

Si Kazimierz avait été écrivain, il aurait inventé l’écriture de la couleur, musicien il aurait joué une musique sculpturale sur des corps de femmes tendues comme des harpes. Dans une autre vie il sera tout à la fois, metteur en scène de surcroît.

 

KAZIMIERZ DZYGA

L’HOMME AUX DIX MILLE REVES

 

Si la femme est le paysage préféré du peintre, elle est avant tout le point de départ de l’œuvre. Sera-t-elle blonde ou brune, pudique ou insolente ? Lui-même ne le sait pas encore, ce dont il est sûr, c’est qu’elle sera belle, la beauté le fascine comme un sentiment perdu qu’il redécouvre dans chaque toile. Dans sa tête mille et un corps aimés se mêlent, s’entrechoquent, fête des sens sens dessus dessous, phantasme privé à l’ombre des regards. Ses modèles posent en rêve de chair et os, il reste des parfums échevelés, des nuances sucrées, des serpentins de désirs suspendus au septième ciel. Kazimierz, cet amant clandestin, pirate les sourires, pille les sexes, boit aux bouches vermillon, il engrange les soupirs d’amour, les jouissances serties de larmes dans sa tête amarrée au quai de toutes les fantaisies. Il s’enivre jusqu’à l’extase, elle résonne alors en notes rouges et bleues qui viennent mourir à ses mains comme autant de vagues brunes échappées de l’océan. C’est le moment de peindre… La minute du sortilège. Tous les sentiments superflus, il les enferme dans ses paysages, ses décors fantastiques qui servent d’écrin à la femme enfin révélée. L’élue. C’est la femme rencontrée au bord de la veille, avant demain et après hier, présente et inaccessible. C’est le moment introuvable, juché en haut d’une parenthèse. Car l’œuvre de Kazimierz Dzyga s’inscrit dans l’instant. C’est sa revanche sur l’éternité…

REVES DE FEMME

Les toiles de l’artiste racontent la femme et les femmes écoutent sa peinture comme un credo fantastique. Traducteur de l’inconscient Kazimierz Dzyga exorcise tous les phantasmes et mêle les siens aux leurs, orgies de couleurs, sensualité partagée, il sait la volupté lisse, l’orgasme en cascade et la bouche au goût interdit. Il invente un univers complice pour séduire à outrance, provoquer à plaisir. Sa peinture, sans aucun doute, est féminine. L’homme y plonge désir tenant. Ses yeux le mènent au rêve, c’est le but du voyage. Il se sait autorisé à pénétrer la toile, il la viole sans pudeur, des symboles phalliques lui tracent un chemin facile conjuguant tous les êtres aimés.

PULSIONS

Kazimierz Dzyga est l’homme de dix mille projets. A peine a-t-il ébauché une toile que déjà il songe à la prochaine, toute son excitation contenue, réduite à un format en équilibre sur le chevalet. Il est aussi l’homme de dix mille rêves capable de construire des châteaux en Espagne. L’imaginaire est né en même temps que lui, pressé de le reconnaître. Ce fut son premier refuge peuplé de chimères aux seins de femme, esquisses fuselées qui bordaient son sommeil. Dès qu’il a su peindre, il put partager, car Kazimierz Dzyga est généreux, d’une générosité vitale. Il suffit de regarder ses toiles, elles ne manquent de rien, ni de vie, ni d’envies, il les abreuve de couleurs, les pénètre de détails pour faire de chacune d’elles un univers autonome, il les appelle « sources de vie », « le guetteur », « fusion » ou « le Riche-lieu».

D’abord il y a le jardin, mouvant comme une terre d’ombres, puis vous pénétrez la maison fraîche et claire comme une toile de Magritte. L’atelier est au fond, tout au bout du chemin. Au bord de la fenêtre, le chevalet est ouvert en permanence. Ce n’est pas difficile d’y entrer, tout vous y invite jusqu’à cette femme qui vous ouvre deux pans de ciel (ouverture céleste) pour mieux vous fondre dans le décor. Il est déjà trop tard pour faire demi-tour, la peinture de Kazimierz Dzyga vous aspire, c’est grisant, tout juste inquiétant. Ses toiles magiciennes dénouent les rêves et enchaînent les phantasmes comme des tornades à l’envers. De toute façon il ne faut pas songer à repartir car sa peinture est implacable, sensible et susceptible tout comme une femme. Pourtant quand l’étreinte se desserre, elle vous laisse entrevoir des sentiers très doux, des no man’s lands accueillants ; une bulle file, c’est l’occasion d’une trêve à saisir d’urgence. Ecoutez, ses toiles sont musicales (Escarboucle), peuplées de notes d’opale juste destinées à prolonger l’envoûtement Symphonie cuivrée pour une chevelure rousse, ou balade aquatique pour une femme sirène (la fontaine des désirs). Kazimierz Dzyga peint à l’aventure, il suffit d’une femme pour générer un décor, tout un univers, femme volcan ou femme offerte, fausse pudeur dans des chaussons de soie, la femme au pouvoir générateur. Femmes familières, affamées, fantaisies et fantasques, on feuillette la peinture de l’artiste comme un catalogue d’hommages. Mais ses résumés de femmes ne sont pas exhaustifs, il reste toutes celles qu’il n’a pas encore peintes et qui jouent à la volupté dans les limbes de son cerveau. La femme insuffle à Kazimierz une force tranquille et terrifiante, décuplant son désir de perfection. Il peint jusqu’à l’oubli de lui-même. Parfois ces femmes peintes n’ont pas de regard car leur corps tout entier figure des yeux disponibles où l’on peut plonger sans équivoque. Transe picturale, son pinceau se fait caresse sur les courbes des collines, passion à la pointe d’un sein. Le cadre est mensonger car il n’y pas de limite à son amour. Il se prolonge éternellement dans l’œuvre à venir. Ses toiles sont des miroirs où se reflète le quotidien transcendé, c’est ce qui séduit d’abord Kazimierz a l’habitude de se sacrifier aux femmes qu’il engendre, ses toiles sont des œuvres de chair, palpitantes, à griffer, mordre, aimer à coups de regards. Il y a souvent dans ses toiles une absence, celle de la femme justement, clairement suggérée. Dans ces instants-là, elle peut être encore plus présente, d’une discrétion perverse trahie par un titre évocateur (fusion 1982, le Berceau d’Hélios 1985), temple secret d’un érotisme avoué. L’artiste ne rêve jamais de ses toiles. Ses nuits sont trop courtes et puis toutes ses frasques oniriques viennent spontanément s’inscrire sur le chevalet sans qu’il ait besoin de s’encombrer d’images quand il fait des provisions de sommeil. Comme tous les noctambules il reconnaît la nuit, la vraie, pure débarrassée de toutes ses fausses espérances, celle des silences grignotés, des senteurs révélées ; l’espace démultiplié lui offre un port d’attache. Il aime d’amour la sœur jumelle de Morphée, l’autre déesse, celle qui troque le sommeil pour un peu d’illusion, la prostituée funambule qui joue avec le feu. Mais le peintre aime aussi le jour. Il en distille sa lumière pour lui emprunter des couleurs particulières . Il est cependant dans la vie de l’artiste un lieu secret qui n’est ni le jour ni la nuit. Aucune aube, aucun crépuscule ne peut donner de tels ciels (la fontaine des désirs, sources de vie). Ils n’existent pas non plus au jardin de l’imaginaire, trop précis, trop réels. Ils viennent d’un endroit à l’intérieur de sa tête, un royaume très privé où il erre seul en quête de l’absolu. Mais Kazimierz ne passe pas sa vie à peindre, il est à l’affût de la vie dans toutes ses manifestations. Il sait griser de mots, usant de sa liqueur d’images, comme d’un élixir de bonheur. Il cultive aussi un jardin de fleurs, cocktail de hasards ; ce sont autant de taches de couleur sur le chevalet brun de la terre. Il peut rester seul en tête-à-tête avec lui-même mais quand la solitude lui pèse trop, il crée une partenaire pour jouer à la découvrir, mais il lui faut plus encore : le monde entier pour en saisir ses rires cathédrales. Cela fera bientôt vingt ans que Kazimierz peint pour le meilleur et pour le pire, pas de sa faute s’il a épousé une peinture ardente et insatiable. Il se souvient avec tendresse de ses premières œuvres sur des toiles improvisées, bois ou carton, tout lui était bon pour raconter des histoires. Quelque part son premier atelier existe toujours, sous un toit le plus près possible des étoiles. Il y a un jardin, une échelle pour accéder à ce grenier secret. Le chevalet a disparu mais il reste une toile, fragile, indécise, elle n’attend aucune visite et plus un regard pour la faire vivre mais les couleurs la tourmentent, ce n’est pas d’une femme qu’il s’agit mais d’un bateau qui tangue et qui guette, toujours, le voyage entre deux pans de ciel. Il n’est pas d’élément dans la peinture de Kazimierz Dzyga qui ne soit palpable, jusqu’aux bulles aériennes qui sont douces au regard. On peut s’égratigner sur ses décors de pierre et en un coup d’œil fondre dans le moelleux des coussins de soie (Vénus née de l’azur). Kazimierz Dzyga maîtrise la pierre avec une technicité redoutable. De la même manière il dompte les ciels impatients. Si ses toiles se consument à petit feu, c’est la faute aux couleurs d’acier qui embrasent l’espace. Pierre, soleil, végétal, feu, femme, absence d’eau ou d’un quelconque liquide élixir de vie. Il ne figure aucune rivière dans les toiles de Kazimierz, ses lacs accueillent des eaux dormantes et la Fontaine des Désirs coule à sec, privée de sa substance. Pourtant toute la peinture de l’artiste est fluide, pareille à un frisson, les tons d’eau ne sont pas rares et curieusement certains titres de ses toiles sont tout imprégnés de ce liquide invisible (le chemin des lacs, la fontaine Atlante). Sa peinture puise, inexorable, aux sources du rêve comme un puits où chaque goutte d’eau serait une molécule d’image.

Christiane LA BLANCHERIE

 

 

                                              

                            

 

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